Séances 2020-2021

Ecomodernisme, greenwashing structurel et techno-optimisme

Emmanuel Ferrand, Maître de conférences HDR en mathématiques, IMJ-PRG, Sorbonne Université.

Mercredi 7 juillet 16h-18h

Une transition de phase s’est opérée ces dernières années : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité et la crises des ressources sont désormais bien reconnues dans les cercles dirigeants, dans les institutions, et dans certaines catégories de la population. Ces thèmes sont omniprésents dans les média, les librairies sont submergées par une surproduction éditoriale.

Les climatosceptiques, aujourd’hui transmutés en « climatoréalistes », sont certes toujours actifs dans certains milieux (y compris dans le public éduqué scientifiquement), mais, devenus minoritaires, ils attaquent avec une mentalité d’assiégés. A côté de cela, on constate une instrumentalisation à grande échelle des thématiques environnementales sous forme greenwashing cynique, ou bien, de manière plus structurelle, en alimentant l’écosystème « solutioniste » des startups : le capitalisme prend appui sur les crises pour se renouveler, selon des processus identifiés depuis longtemps.

Dans cet exposé je voudrais rendre compte de certaines expériences « en immersion » plus ou moins récentes que j’ai pu avoir au contact de ces milieux d’affaires, dans le monde des ingénieurs et surtout avec certains collègues universitaires, souvent très estimables et surtout sincères.

Seront abordés aussi bien des auteurs peu recommandables mais influents comme Luc Ferry (j’ai lu pour vous son dernier livre !) que des projets où, pour le meilleur ou pour le pire, nous sommes impliqués de près ou de loin, en tant qu’universitaires, comme SU-ITE, l’OIN Paris-Saclay, Horizon-Europe, les chaires financées dans nos organismes par de grands groupes industriels (TOTAL-ENERGIE, BNP-Paribas, Vinci), ainsi que des situations plus complexes, comme le partenariat entre le réseau INSA (écoles d’ingénieurs) et le Shift Project.

J’aimerai partager mes inquiétudes sur la difficulté des combats qu’il faudra mener dans un contexte d’appropriation et de banalisation des constats environnementaux.


Développer un marché en dépit et à l’appui des controverses : le cas de la compensation carbone

Alice Valiergue (docteure en sociologie de l’Institut d’études politiques de Paris).

Vendredi 28 mai 2021 à 16h, en visioconférence.

La séance sera consacrée aux résultats d’une enquête sociologique menée sur le marché de la compensation carbone, où des entreprises, qui n’ont aucune obligation de souscrire à ces services, achètent à des opérateurs privés, ONG ou entreprises, des crédits carbone pour compenser leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). La recherche menée a pour point de départ le questionnement suivant : si ce marché soulève des controverses, comment expliquer qu’il se développe et que des entreprises soucieuses de leur réputation continuent d’acheter des crédits carbone ? A l’appui des résultats de l’enquête, la présentation rendra compte du rôle joué par les politiques publiques environnementales, le travail des opérateurs ou encore celui des directions du Développement durable de grandes entreprises.

https://www.librairielafemmerenard.fr/livre/17958558-compensation-carbone-la-fabrique-d-un-marche-c–alice-valiergue-presses-universitaires-de-la-sorbonne


Sur les épaules de Goëthe : essayer de penser la science autrement

Nicolas Praquin, Université Paris Saclay et Ecopolien.

Lundi 10 mai 2021 16h, en visioconférence.

Dans ce séminaire interne de l’Écopolien, nous discuterons de la manière dont on peut s’inspirer à la fois de la science pré-Moderne, de celle issue de la révolution industrielle et d’autres modes d’accès à la connaissance pour penser la science autrement.

Pour nourrir ces réflexions, je partirai de l’exemple de Goethe. Surtout connu pour son œuvre littéraire ; il fut aussi un scientifique de premier plan et s’intéressa notamment et particulièrement à la lumière et à la botanique. Henri Bortoft (1938-2012) physicien quantique, a écrit deux ouvrages consacrés à Goethe le scientifique en se focalisant sur son approche holistique de la science. A partir de l’approche de Goethe et de la phénoménologie d’Husserl, Bortoft trace de nouvelles façons de comprendre et interpréter les phénomènes scientifiques. Dans la présentation que je vous propose, je retrace les grandes lignes de ces deux ouvrages et ouvre la discussion sur la façon dont nous pourrions imaginer faire de la science à l’heure de l’anthropocène.



Transitions énergétiques et changements sociétaux : changements de ressources / changements de pouvoir

Angélique Palle, Institut de recherche stratégique de l’Ecole Militaire / Chercheure associée, UMR Prodig et Ecopolien.

Vendredi 16 avril 2021 16h00, en visioconférence.

Qui est légitime pour décider d’une politique de transition énergétique ? Quelle est l’échelle optimale pour la mettre en œuvre ? Quels sont les acteurs les plus à même d’en porter les projets ?  

Dans cette session du séminaire interne de l’ecopolien, on parlera de la question des rapports de pouvoir dans les transitions énergétiques et particulièrement de la transition en cours.

Le propos se fonde sur une hypothèse développée par l’histoire des transitions énergétiques : les transitions sont des vecteurs de profonds changements sociétaux. Il peut s’agir de changements de propriété des structures de production, de changements de rapports entre espaces de production et de consommation, parfois de changements de structures politiques, etc.

A partir de cette hypothèse, on peut poser la question des effets sur notre (nos) sociétés du processus de transition en cours. Je propose pour y réfléchir un prisme de géographie politique et de géopolitique des ressources qui considère les transitions énergétiques comme des changements de ressources énergétiques et s’intéresse particulièrement à la territorialisation de ces changements de ressources et aux rapports de pouvoir entre acteurs qui en sont issus. La notion de territorialisation questionne, entre autres, la façon dont les acteurs s’approprient un espace y déploient des stratégies d’action et construisent une identité autour de cet espace. A partir d’exemples à plusieurs échelles (de la politique énergétique européenne aux acteurs locaux) on explorera la façon dont les acteurs de la transition énergétique européenne construisent des territorialisations et des représentations différentes de ce qu’est et doit être une transition énergétique. Ces différences de représentation conduisent parfois à des situations de « conflit d’acteur » qu’analyse la géopolitique nous permettront aussi d’interroger la façon dont ces processus de transition redessinent certains rapports de force au sein de nos sociétés (public/privé, local/national, rural/urbain etc.).


Le chercheur mis en position d’expert sur le changement climatique : quel arbitrage sur les incertitudes dans la communication ?

Pascal Maugis, CNRS et Université Paris Saclay, LSCE.

lundi 15 fév. 2021 16h00, en visioconférence.

Dès lors qu’un avis lui est demandé par un décideur ou un porteur d’enjeux, le scientifique coiffe sa casquette d’expert et sort à la fois de sa zone de compétence propre et de sa zone de confort pour se confronter aux décisions publiques alors que les enjeux et les pressions peuvent être considérables.

Pourtant, la posture du “sachant”, si elle est attendue, souvent implicitement, lors de la sollicitation, est risquée à plus d’un titre : s’exprimer sur des champs scientifiques qui ne relèvent pas de sa spécialité propre, risque d’occulter des incertitudes signifiantes mais en dehors du paradigme habituel de travail dans son propre champ de spécialité, responsabilité engagée en cas d’erreur de priorisation du discours ou de mauvaise compréhension. Le chercheur est également soumis à une stratégie personnelle de carrière, à des enjeux de valorisation de son propre collectif de recherche, à des biais psychologiques comme le biais de confirmation ou la minoration des processus ou résultats objets de polémiques. Pour ces raisons, le discours d’un expert individuel n’engage que lui et ne saurait être normatif.

Face aux impacts économiques et sociétaux de sa parole, le scientifique peut être tenté de filtrer ses messages en occultant les résultats controversés, en priorisant ceux dont le niveau de preuve est inattaquable, ou encore en évitant ceux jugés anxiogènes et incitant au déni. C’est pour une bonne part la stratégie de communication du GIEC, qui sera analysée dans son principe et dans ses conséquences vis-à-vis du principe de précaution, et notamment la faculté de délivrer une information permettant effectivement aux décideurs de choisir des options de manière informée, responsable et robuste. On verra que la ligne choisie par le GIEC ne permet pas de le faire et qu’elle expose potentiellement les territoires à la mal-adaptation ou à l’impréparation.

Le discours d’expertise, tel que sollicité pour alimenter une prise de décision par des porteurs d’enjeux sur un territoire donné doit, en contexte de grandes incertitudes comme c’est le cas du changement climatique, être construit dès la formulation de la question, de manière collective. Les plus grandes incertitudes – situation au demeurant commune dans la vie politique ou notre vie quotidienne – ainsi que les impacts plausibles les plus extrêmes peuvent être appréhendés de manière apaisée lorsque la connaissance scientifique est délivrée dans sa diversité. La responsabilité du collectif, conçu comme celui qui prendra les décisions, mettra en œuvre les actions, les maintiendra dans la durée et subira les conséquences – positives ou négatives – des choix faits prend le pas sur celle, individuelle, du passeur de science. On expliquera ainsi les différentes manières de décrire les incertitudes et les différentes manières d’y faire face dans la construction d’une décision.


Une lecture critique d’Abondance et liberté, de Pierre Charbonnier

André Estevez-Torres, CNRS, Sorbonne Université et Ecopolien.

lundi 25 jan. 2020 16h00, en visioconférence.

L’ouvrage Abondance et liberté, de Pierre Charbonnier, a fait couler de l’encre depuis sa publication début 2020 (1). Et pour cause, car il propose de revisiter l’histoire des idées politiques occidentales depuis deux siècles sous l’angle environnemental. Je donnerai ici un point de vue de non-spécialiste sur cet ouvrage riche, dense et parfois obscur mais qui a le mérite de nous aider à penser deux questions cruciales: pourquoi le pacte libéral qui noue croissance et démocratie a eu tellement de succès? En quoi est-t-il dépendant de prélèvements irréversible sur la nature? Je résumerai les trois phases historiques distinguées par l’auteur pour décrire l’enchevêtrement entre les deux concepts qui guident son ouvrage. D’abord, l’âge pré-industrielle qui voit naître la théorie libérale avec Adam Smith. Ensuite, la révolution industrielle où le pacte libéral s’adapte aux nouvelles énergies fossiles et où naît également le socialisme comme réponse au choc induit par ces énergies. La grande accélération, enfin, qui débute après la 2ème guerre avec, notamment, le paradigme des limites et la bioéconomie. La question qui traverse l’ouvrage est: pourra-t-on maintenir une certaine liberté en absence d’abondance matérielle? L’auteur n’y répond pas, mais nous aide à la poser dans des termes stimulants, notamment en revenant sur la naissance de la pensée technocratique, l’importance du socialisme comme amortisseur social suite à la révolution industrielle et l’interprétation que Polanyi donne de la Grande Transformation opérée dans le monde pendant les années 1930s. Le séminaire sera suivi d’un débat.

Notes

(1) Plusieurs recensions de l’ouvrage:


Imaginer les possibles du changement climatique.

Daniel Suchet, Ecole Polytechnique, Palaiseau.

14 déc. 2020 17h00, en visioconférence.

Daniel Souchet nous parlerla de l’anthologie Nos futurs, “une anthologie de textes destinés à sensibiliser, à informer et à produire des récits autour des enjeux du changement climatique.”


De l’avant-pétrole à l’après-pétrole : Réflexions à partir de l’histoire des techniques et de l’énergie.

Julian Carrey, INSA Toulouse et Atelier d’écologie politique de Toulouse (Atécopol).

24 nov. 2020 16h00, en visioconférence.

Lorsque, par choix ou nécessité, nous n’utiliserons plus d’énergies fossiles, à quel niveau de vie et de complexité technique pourrions-nous prétendre? Mais surtout, pendant combien de temps pourrions-nous maintenir cet éventuel niveau technologique sans épuiser nos ressources minérales ou naturelles ? Pour apporter quelques éléments de réponses à ces questions, nous nous sommes penchés sur l’histoire des sociétés qui nous ont précédées, et qui n’utilisaient pas ou peu d’énergie fossiles. Quelles étaient les techniques utilisées ? Ces sociétés étaient-elles pérennes ? Quelle était leur consommation énergétique et pour quel usage ? Et surtout : pourrions-nous faire − uniquement du point technologique et en laissant de côté les aspects liés à l’organisation politique − « mieux » ou « plus » que les sociétés préindustrielles si nous choisissions de ne plus utiliser d’énergie fossile ?

Lors de ce séminaire, nous présenterons des résultats concernant la consommation énergétique des sociétés préindustrielles et les moyens utilisés pour produire cette énergie. Toutes ces techniques sont en fait des moyens indirects de collecter l’énergie solaire, dont nous présenterons les rendements. Quelques techniques ingénieuses d’utilisation des énergies renouvelables seront présentées.

Dans un deuxième temps, nous présenterons une analyse quantitative de la révolution industrielle en Angleterre, qui illustre que cette révolution n’est pas mécanique, mais en premier lieu une révolution thermique, qui a démarré au début du XVIIe siècle. Les mécanismes ayant conduit à l’emballement énergétique qui a suivi seront présentés. L’augmentation de puissance des machines produisant de l’énergie mécanique « renouvelable » (moulins à vent et hydraulique, turbines), qui sera présentée, n’aurait pu être possible sans la source d’énergie thermique abondante des énergies fossiles. Ceci pose la question − toujours d’actualité − de la possibilité d’avoir des sources d’énergies renouvelables abondantes en l’absence d’énergie fossile, car le fort couplage entre les deux types d’énergie semble remonter aux origines-même de la révolution industrielle.

Enfin, nous discuterons de la pérennité de ces sociétés et de leurs évolutions technologiques, à la lumière de quelques exemples choisis : les habitants de la Terre de Feu, les aborigènes australiens et les Tikopiens. Les aborigènes australiens nous éclairent sur ce que peut être la nature profonde du Progrès, tandis que les Tikopiens nous rappellent qu’il est possible de développer un système technique pérenne dans un monde fini, à condition de faire les choix politiques et techniques adaptés aux écosystèmes dans lesquels nous vivons.

Lien vers le livre Sans pétrole et sans charbon, de Julian Carrey.